À Tours, la vie en pension de famille au temps du confinement

Alors que la création de liens et la rupture de l’isolement sont le cœur du projet social de nos pensions de famille, le confinement vient nécessairement bousculer le quotidien des habitants et la pratique des hôtes. Pour la première fois, les espaces collectifs ont été fermés, pour n’être ouverts que deux fois deux heures par jour, avec une attention particulière au nettoyage et à la désinfection. Autant pour les équipes que pour les habitants, cette fermeture a fortement symbolisé la gravité de la situation.

Les repas partagés en commun ont été annulés et remplacés par une distribution quotidienne de colis alimentaire afin de limiter les déplacements à l’extérieur des habitants, et notamment de ceux ayant une santé fragile. Les plannings des équipes ont été adaptés pour anticiper les éventuelles absences en cas de contamination et maximiser leur temps de présentiel, y compris le week-end et les jours fériés.

L’annonce du confinement a généré beaucoup d’anxiété et d’angoisse, principalement liées à l’organisation pratique : est-ce que je vais pouvoir aller chercher mon argent ? Comment je vais faire pour manger, je ne sais pas cuisiner ? Comment je fais pour l’attestation, je n’ai pas d’imprimante ? Est-ce que je vais pouvoir continuer à acheter mes bières ? Comment je fais pour acheter des masques et des gants ? Je vais pouvoir encore appeler mon psy ? Etc.

Les réponses ont vite été apportées mais il a aussi fallu rappeler, répéter les consignes pour les gestes barrières, pas toujours facilement intégrables par tous et en tout cas difficilement applicables quand on vit ensemble, et qu’on a d’ailleurs choisi la pension de famille pour ça !

La première semaine, il a fallu tâtonner pour trouver la meilleure organisation. Il a fallu rassurer, beaucoup, en direct ou au téléphone.  Les équipes craignaient, et c’est toujours le cas, les décompensations probables. Les temps où ils sont ouverts, les espaces communs sont très investis, preuve du besoin pour les habitants de partager des moments ensemble, et de ne pas rester seuls toute la journée. Ils ont conscience de la chance d’avoir un jardin et de ne pas être enfermés à plusieurs dans un petit appartement, comme ce qu’ils voient aux infos. Ces fameuses chaines d’infos, qu’on leur a vite demandé de moins regarder pour ne pas entretenir inutilement leurs craintes et leurs angoisses.

Et puis…de nouveaux rituels se sont installés, rassurants, sécurisants pour les habitants. Les idées des hôtes ont fusé pour maintenir une normalité dans cette situation inédite : des concours d’énigmes entre pensions, des batailles navales à distance, l’échange de « photos de confinés », les témoignages vidéo sont en cours, des cartes vont être envoyées aux autres pensions de la Fédération SOLIHA et de la Fondation Abbé Pierre mais aussi aux personnes âgées d’AGEVIE*, qui doivent se sentir bien seules en ce moment.

De nouveaux talents se sont révélés, la solidarité a explosé. Les collègues, les amis, les voisins se sont manifestés pour participer à rendre le confinement moins pénible pour les habitants. Plusieurs initiatives ont été prises : fourniture de masques, gants et gel, dans l’attente des livraisons préfectorales, contribution au repas en cuisinant pour eux, en leur faisant du pain et des pâtisseries, en leur adressant des mots de sympathie, etc. Les habitants aussi ont participé à cette solidarité. Ils lavent le linge des personnes à la rue mises à l’abri dans les hôtels et  plient des vêtements de bébés. Ils ont pris conscience que la situation était encore plus difficile pour d’autres. Cela a été le support de discussions intéressantes sur leurs parcours, les soutiens qu’ils ont pu avoir et comment leur vie a changé en entrant en pension de famille. Leurs capacités de résilience et d’adaptation sont véritablement surprenantes.  Ce confinement, pour certains, c’est un peu comme si c’était juste un coup dur supplémentaire qui allait passer.

Finalement le confinement réaffirme l’utilité de la pension de famille, et rappelle les raisons d’y être entré. On l’avait un peu oublié parfois, surtout quand une routine s’installe, et encore plus quand on y vit depuis plus de 10 ans ! Ca fait du bien de se rappeler pourquoi on aime discuter avec son voisin ou jouer au Scrabble avec lui, plutôt que de s’agacer des taches de café qu’il ne nettoie pas à chaque fois ! Ca fait du bien de se rappeler pourquoi on aime travailler en pension de famille. On avait oublié à quel point on est utile à se rendre inutile.

Un mois que nous sommes confinés. Aucun malade au sein des 4 pensions, pas de situation explosive et difficile. Ce soir, il est probable qu’on nous annonce un mois supplémentaire. Comment les habitants vont-ils recevoir cette information ? Comment les équipes vont-elles maintenir le rythme actuel ? Les maladies psychiatriques sont toujours là, les addictions aussi et il est de plus en plus difficile de se procurer certains produits. La solitude et l’envie de voir du monde à l’extérieur n’ont pas disparu. Les difficultés du quotidien et notamment la précarité financière demeurent. Finalement, le confinement ne fait que les révéler encore plus. Que restera-t’il de cette période et de ce qui s’y est passé, des compétences développées, des priorités réaffirmées ?

La seule certitude à cette heure, c’est que les pensions de famille, plus que jamais, c’est être chez soi et pas tout seul.

Delphine Picard, Directrice des pensions de famille de SOLIHA Centre-Val-de-Loire


* AGEVI est une structure membre de SOLIHA Centre Val de Loire. Elle a pour objectif « de promouvoir et gérer des services et équipements permettant le maintien dans la vie sociale de personnes fragilisées .Elle s’inscrit en complémentarité des autres dispositifs de maintien à domicile ». Plus d’information sur www.agevie.fr

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