TRIBUNE de la Fédération SOLIHA – Politique d’amélioration de l’habitat : l’instabilité est insoutenable et irresponsable

L’année 2025 a mis en évidence la fragilité de la politique d’amélioration de l’habitat, qui avait pourtant connu une progression sans précédent, accompagnée d’une structuration de la filière, ces dernières années. Suspensions des aides en juin, engorgement des dossiers et pertes d’emplois chez les acteurs de terrain au second semestre : les conséquences de l’instabilité sont désormais concrètes. Dans ce contexte, la non-adoption d’un budget pourtant en-deçà des attentes, est une mauvaise nouvelle pour les ménages et les professionnels. Pour éviter une nouvelle paralysie et restaurer un minimum de visibilité, il est indispensable que le gouvernement et les parlementaires impulsent, avec les opérateurs de l’État, une nouvelle ambition.

L’incertitude et les blocages fragilisent la filière de la rénovation et pénalisent les ménages

Le second semestre de l’année 2025 restera comme une période de grande fragilisation pour l’écosystème de l’amélioration de l’habitat, et en particulier pour celui de la rénovation énergétique. Malgré des objectifs en progression ces dernières années, la réalité vécue par les ménages et les professionnels a été celle de l’incertitude, de l’attente et du blocage.

Derrière les chiffres présentés en conseil d’administration de l’Agence nationale de l’habitat (Anah) le 16 décembre, ce sont des ménages qui ont vu leurs projets d’amélioration de l’habitat remis en question ou suspendus, parfois au coeur de situations de précarité énergétique, de perte d’autonomie ou d’habitat indigne. Ce sont aussi des acteurs de terrain – associations, opérateurs, entreprises du bâtiment, collectivités – qui peinent à se projeter dans un cadre devenu instable.

Les Mon Accompagnateur Rénov’, pourtant appelés à jouer un rôle central dans la sécurisation des parcours et la montée en qualité des rénovations énergétiques, sont particulièrement exposés. Leur structuration récente pour un certain nombre d’acteurs, indispensable à la réussite des rénovations globales et à la lutte contre les fraudes, ne peut tenir sans continuité ni lisibilité des dispositifs. À titre d’exemple, parmi les 123 associations qui composent le Mouvement SOLIHA, pourtant opérateurs historiques depuis plus de 100 ans et couvrant l’ensemble du territoire français, ce sont entre 150 et 200 postes qui disparaissent, entre licenciements économiques et non reconduction de contrats à durée déterminée.

Le projet de budget proposé pour la rénovation du parc bâti est insuffisant au regard des besoins sociaux, énergétiques, territoriaux et climatiques. Mais sa non-adoption et l’instabilité actuelle aggravent encore la situation. Une nouvelle suspension des aides, avec l’arrêt des guichets en cas de loi spéciale tel qu’annoncé par le Ministre du Logement (« Pas de budget, pas de guichet »), compromet un écosystème déjà extrêmement fragilisé, au détriment des ménages que notre réseau associatif accompagne, les moins fortunés.

Une politique encore suspendue à l’incertitude budgétaire

Les dispositifs de soutien à la rénovation, au premier rang desquels MaPrimeRénov’ Parcours Accompagné, ont connu plusieurs suspensions ou restrictions en 2025, après avoir subi un lancement complexe en 2024. Résultat : près de 80 000 dossiers sont aujourd’hui en cours d’instruction, dont 45 000 maisons individuelles et 38 000 copropriétés, illustrant l’ampleur du goulot d’étranglement.

Si l’engagement de traiter dès le premier trimestre 2026 l’ensemble des dossiers déposés en 2025 est nécessaire, cette nouvelle suspension ne va faire que retarder davantage les projets et aggraver la défiance de tout l’écosystème envers la politique d’amélioration de l’habitat.

Dans ce contexte, les annonces récentes de l’Anah confirment que le maintien du budget en 2026 au niveau de 2025, loin d’être une réponse suffisante, peut au-moins offrir un début de visibilité aux ménages et aux professionnels. Au sein de ce budget, le travail des équipes de l’Anah de précision et de choix est à saluer. En effet, les orientations présentées pour 2026 témoignent pourtant d’un cap clair : priorité donnée aux rénovations d’ampleur et renforcement des moyens consacrés aux rénovations des copropriétés, baisse (bien que trop faible et mal choisie sur les postes de travaux) des rénovations par gestes, montée en puissance de l’adaptation des logements à la perte d’autonomie, lutte accrue contre la fraude et territorialisation adaptée des crédits.

Une responsabilité politique immédiate, avant un réengagement fort nécessaire de l’État

Ces choix traduisent une volonté partagée par les acteurs de terrain : mieux cibler les aides, mieux accompagner les ménages et sécuriser les parcours. Même s’ils ne permettent pas de continuer la massification initiée, traduisant une perte d’ambition que le Mouvement SOLIHA déplore ; ils portent tout de même un message d’exigence accrue qui suppose un prérequis indispensable : la stabilité et la continuité de l’action publique.

Cette exigence de stabilité est d’autant plus essentielle que le budget 2026 s’inscrit dans un contexte de retrait de l’effort budgétaire direct de l’État, avec une baisse annoncée d’environ 500 millions d’euros des crédits dédiés. Cette diminution est présentée comme devant être compensée par un recours accru à des financements indirects via les certificats d’économies d’énergie (CEE). S’ils constituent un levier utile, ils ne peuvent à eux seuls se substituer au budget de l’État et devraient plutôt venir en complément de celui-ci. Au regard de la demande et des dossiers déjà déposés, ce budget n’est donc pas constant et cela envoie un signal négatif aux ménages comme aux acteurs de terrain, au moment même où la stabilité et la confiance devraient être renforcées.

L’amélioration de l’habitat ne peut être une variable d’ajustement budgétaire liée à un manque d’imagination des décideurs gouvernementaux et parlementaires. Elle est un levier majeur de dignité humaine, de justice sociale, de transition écologique et de cohésion territoriale. Pour les milliers de ménages en situation de précarité accompagnés chaque année par le Mouvement SOLIHA, l’enjeu est immédiat et concret.

Pourtant, les solutions existent en plus d’un recours accru au CEE : meilleure affectation à l’Anah du revenu des enchères de la France des quotas carbone, développement de prêts hypothécaires garantis par l’État pour les ménages les plus favorisés et qui intégreraient les hausses de valeur foncière, mise en place de caisse d’avance et de sociétés de tiers-financement territoriales. À l’heure où le Ministre du Logement annonce un grand plan logement et où se dessinent les contours d’une Banque de la rénovation, il est indispensable que la stabilité des aides, un financement pérenne et l’appui aux acteurs de terrain de la rénovation des logements deviennent des piliers reconnus d’une véritable politique nationale de l’habitat.

Olympio KYPRIANOU-PERRIMOND Directeur général de la Fédération SOLIHA

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