Quelle utilité sociale des associations SOLIHA, à travers l’amélioration des conditions d’habitat des ménages ?

Retour sur la Rencontre SOLIHA du 8 juin 2017,
à Paris

Plus de 250 personnes ont participé à la Rencontre SOLIHA qui a eu lieu à Paris le 8 Juin sur le thème de l’utilité sociale. Dans le prolongement de la 2ème Assemblée générale de la Fédération SOLIHA, cette Rencontre, organisée en tables rondes, avait pour objectif de qualifier la plus-value sociale des associations SOLIHA, services sociaux d’intérêt général, dans le cadre des réponses qu’elles apportent aux besoins des publics défavorisées, fragiles ou vulnérables.

Elle a été animée par Thierry Fouquet, journaliste et Christophe Robert, délégué de la Fondation Abbé Pierre en a été le grand témoin. Les débats ont été introduits par la présentation des résultats du sondage que la Fédération a commandé à Harris interactive sur le thème le « Les Français et le logement »

Parmi ces résultats, on retiendra notamment que :

– Les Français associent avant tout leur logement à l’idée de « confort », mais ils y identifient également de nombreuses pistes d’amélioration (prix, isolation thermique, isolation sonore, santé dans l’habitat, équipements sanitaires), et les jeunes se déclarent davantage ouverts à l’aide extérieure d’un expert associatif par rapport à la moyenne des Français.
– Les Français indiquent être majoritairement attachés à des principes politiques forts sur la question du logement : mixité sociale (70% positif), priorité du logement sur l’hébergement (70% également) et maintien des personnes âgées à domicile plutôt qu’en établissement spécialisé (61%).
– Les Français expriment un a priori plutôt bienveillant envers différentes solutions innovantes en matière de logement, qu’il s’agisse d’intermédiation locative (52% des propriétaires bailleurs pourraient l’envisager), d’habitat participatif (33% des Français) ou encore d’habitat intergénérationnel (31%).

Accéder à un logement, c’est aussi accéder aux multiples fonctions de l’habitat 

La première table ronde a permis de mettre en relief les principaux résultats du sondage afin d’en tirer des enseignements pour le Mouvement SOLIHA ainsi que des pistes de stratégie. Michel Bonneti, sociologue et président du Comité d’orientation de la Fédération SOLIHA a mis en évidence trois principaux constats.

Le logement n’est pas qu’« enveloppe protectrice ». « Accéder à un logement, c’est aussi accéder aux multiples fonctions de l’habitat ». Il souligne que « la quintessence sociale de l’action de SOLIHA, sa force, sa valeur et son utilité sociale » c’est de permettre à la personne, grâce à son accès à un logement de bonne qualité, de structurer sa vie familiale et sociale, de s’épanouir, d’éduquer ses enfants. Or, on perd parfois de vue « la richesse de ce sens ». L’enjeu pour les équipes SOLIHA est « de regarder ce sens-là et de mieux faire comprendre sa richesse [aux] commanditaires ».

L’environnement du logement est aussi important que le logement lui-même. « Habiter son logement, c’est aussi habiter un espace plus complexe » : un immeuble, un quartier, une ville. Pour M. Bonneti, L’habitat doit être vu « comme ressource sociale qu’offre l’environnement ». L’environnement extérieur et « les opportunités d’interactions sociales » sont déterminants pour l’intégration des personnes.

En matière de solidarité, il constate que « la preuve par la réussite est un levier très important de mobilisation des populations ». S’il estime de façon générale à 30%, le nombre de personnes favorables à la mixité sociale ou à l’implication dans des actions de solidarité en faveur des plus démunis, il pense possible un effet d’entrainement de 15%, ce qui permettrait de mobiliser près de 50% de la population.

Le logement, absent des débats politiques 

Pierre Dubois, militant historique du Mouvement SOLIHA et membre du comité d’orientation, introduit ses propos par une indignation forte qui a pour objet « l’absence du logement dans les campagnes présidentielles et législatives ». Au-delà de l’agacement, il estime que « le logement n’est pas encore au cœur des politiques » alors que les problèmes liés au maintien ou à l’accès au logement continuent de s’aggraver.

Pour P. Dubois, le « challenge pour SOLIHA c’est d’être un Mouvement agile ».  Il doit « se mette en capacité de s’interroger sur ses méthodes, sur ses modes de faire, de s’organiser sur les territoires en tenant compte de ce qui se passe dans [son] environnement ». Il faut toutefois préserver ce qui est au cœur de son projet : « cette expertise sociale et technique pour apporter un plus par rapport aux situations de détresse de centaines de milliers d’habitants de nos territoires urbains et ruraux ».

Remettre le logement et l’habitat à sa juste place

Christophe Robert, grand témoin de la rencontre, a mis en perspective plusieurs points.

Abondant dans le sens de M. Bonneti, il réaffirme que « le problème du logement n’est pas qu’une question de logement ». Cela touche plus largement l’emploi, le vivre ensemble, la question de la scolarisation des enfants, la santé, la capacité à pouvoir inviter des gens… Il appelle à « remettre le logement à sa juste place », afin de dépasser le débat sur le coût jugé trop élevé de l’action sur le logement. C’est à cette condition que le secteur associatif pourra « enclencher une autre dynamique » et qu’on pourra mesurer les effets induits sur les personnes. « Ceci doit être l’acte fondateur de la nouvelle politique » qu’appellent de leurs vœux les acteurs associatifs.

Rebondissant sur la question de la solidarité sociale et territoriale et « du brouhaha médiatique » sur l’accueil de migrants, C. Robert constate que les personnes en faveur de plus de solidarités, bien que plus nombreuses, sont moins audibles, moins visibles dans l’espace public et médiatique que celles, minoritaires, qui sont contre. Toutefois, il tire le constat intéressant que certaines réticences, parfois extrêmes, face aux migrants (cocktail Molotov, incendies de centre d’hébergement…), une fois l’installation faite, s’apaisent. Afin de renforcer la sensibilisation de l’opinion publique, il invite les acteurs associatifs à donner plus de visibilité à ce qu’ils font et à leur efficacité sociale. Cela permettra « de pousser au courage politique, d’abord, et ensuite de trouver les moyens de le rendre visible ».

Il rappelle aussi que l’histoire de la France autour de cette question de solidarité et de la protection sociale est ancienne. Il invite à mettre en scène et rendre plus visible la « réalité positive », celle qui « montre que quand on fait, ça marche ! ». Il faut démontrer « qu’on peut faire autrement, que ce n’est pas si mauvais que ça et qu’économiquement et socialement, en termes d’efficacité, cela fonctionne ! ».

La seconde table ronde a permis aux professionnels SOLIHA de démontrer l’utilité sociale de leurs actions et de présenter les leviers dont ils disposent pour agir.

Les acteurs politiques ne sont pas que des gestionnaires

Ainsi Delphine Agier, Directrice de SOLIHA Rhône Grand-Lyon, a repositionné son action dans le cadre de partenariats construits localement pour faire reconnaître l’utilité sociale de ses actions. Un travail a été conduit depuis plusieurs années avec les collectivités locales qui s’est traduit sous une forme contractuelle, pour répondre aux besoins des personnes et des territoires. Plus que la convention elle-même, « c’est la phase de co-construction avec les équipes techniques et les élus » qui est essentielle. C’est cette étape qui permet ensuite de mettre plus facilement en œuvre les stratégies territoriales.

Un autre partenariat a également vu le jour avec l’université de Lyon, motivé par le besoin, « au-delà de la production de tableau de reporting », de rendre plus visible la plus-value sociale des actions des SOLIHA et de recueillir la parole des personnes auprès de qui ils travaillent.

Consciente de la recherche d’économies généralisée qui impacte tous les acteurs, D. Agier engage à l’autocritique. Si celle-ci doit pousser SOLIHA à adapter ses actions, il ne doit « rien lâcher sur l’essentiel ». Il est fondamental de montrer « l’effet des politiques induites afin que les acteurs politiques ne soient pas que des gestionnaires de leurs lignes budgétaires mais qu’ils soient bien conscients qu’ils contribuent à quelque chose de plus vaste et de plus ambitieux ».

L’angle juridique de l’utilité sociale

Pour Catherine Calmet, Présidente de SOLIHA Méditerranée, « aborder la question de l’utilité sociale sous l’angle juridique est fondamental ». Elle rappelle que si pendant très longtemps les structures SOLIHA ont été les seules à agir dans le champ de l’amélioration des conditions d’habitation des personnes les plus défavorisées, avec l’utilité sociale comme moteur, aujourd’hui leurs activités sont mises en concurrence avec le secteur privé, dans le cadre d’appels d’offres.

Elle rappelle que c’est en 2006, au niveau européen, que la directive service est venue libéraliser l’installation de l’activité des entreprises de services en Europe mais avec quelques exceptions comme le service social du logement social. En 2009, la traduction de cette directive en droit français permet à la loi MOLLE de consacrer cette particularité des services sociaux du logement social à travers une procédure d’agréments. Ainsi, l’article 2 de cette loi prévoit que les activités effectuées au profit de personnes défavorisées lorsqu’elles sont financées par des collectivités publiques doivent l’être par des organismes à gestion désintéressée ayant un agrément. De fait, les collectivités locales ont l’obligation, lorsqu’elles lancent des appels d’offres ciblant des personnes en difficultés, de les réserver à des organismes agréés.

Une jurisprudence, opposant un conseil départemental à une entreprise privée sur l’attribution d’un marché réservé à des structures désintéressées et obtenu par SOLIHA, vient renforcer le dispositif législatif. En appel, la cour administrative de Lyon a donné raison au conseil départemental de la Drôme, actant ainsi le fait que quand un marché entre dans le cadre des agréments au profit de personnes défavorisées, il doit être réservé à des organismes agréés. Si ce n’etait pas le cas, les collectivités locales seraient dans l’illégalité.

Enfin, en 2011, la loi Hamon sur l’Economie sociale et solidaire, vient définir l’utilité sociale affirmant ainsi que les services sociaux d’intérêt général liés au logement ont une utilité sociale juridiquement reconnu.

Démontrer aux élus qu’on peut faire autrement

Dominique Beltramé Moncouet, Directrice de SOLIHA Haute Garonne, souligne un aspect important de l’utilité sociale : la transversalité. Toutes ses missions, quelles qu’elles soient, comportent un aspect social et « même le technicien fait du social ». En effet, « On ne travaille pas le dossier technique et administratif de la même façon chez M. Dupond et M. Durant ».  Elle présente l’expérience menée conjointement avec SOLIHA Provence dans le cadre du programme « Un chez soi d’abord » qui vise à loger des personnes atteintes de troubles psychiatriques avérés. Cette expérience menée pendant 5 ans a été accompagnée par des chercheurs qui ont mesuré ce que le logement et SOLIHA apportent à ces personnes avec cet accompagnement.

Au-delà des chiffres, qui montrent que cet accompagnement coûte bien moins cher que les coûts d’un hôpital psychiatrique, cette action participe de « l’apaisement de la société ». Loger « 100 personnes qui présentent des troubles, et s’assurer de leur bien-être, permet de pacifier beaucoup de choses dans notre société ».  C’est aussi « les rendre citoyens et leur permettre d’accéder aussi au traitement de santé globale et générale au-delà de la psychiatrie   car, quand on est dans la rue, on ne se soigne pas du tout » Ces coûts évités et cette efficience mesurée peuvent demain être mis en œuvre dans d’autres dispositifs. Pour D. Beltramé Moncouet « faire de l’expérimentation, travailler sur des cas très sensibles, et réussir, permet de démontrer aux élus qu’on peut faire autrement, qu’il est possible imaginer d’autres solutions. C’est essentiel ».

Mesurer l’impact social et les coûts évités

José Gulino, Président de l’Union territoriale Hauts-de-France, rappelle, de son côté, l’enjeu du maintien sur un territoire, celui de la Métropole Nord, d’une structure SOLIHA suite à des difficultés liées à l’occupation très sociale de son parc. « Il a fallu convaincre les partenaires de ne pas lâcher cette structure ». Pour cela, SOLIHA a commandé une étude sur l’utilité sociale de son action et trouvé des indicateurs. Cela a permis de démontrer aux interlocuteurs politiques que la structure avait un intérêt pour eux en termes de coûts évités. Le calcul a été rapide : expulser les 409 ménages en situation d’impayés coûterait au total 27,3 M€ à l’Etat (placements en CHRS : 19,6M€ annuel, placements à l’hôtel : 6 M€, recours à la force public : 1,7 M€). Cette mise en évidence a permis de négocier avec l’Etat le maintien de ces 409 familles dans le parc social de SOLIHA et d’augmenter le soutien financier de l’Etat.

L’accès au logement direct, un acte fondateur d’une autre politique sociale du logement

En conclusion de cette seconde table ronde, Christophe Robert propose une analyse en plusieurs points. Il note d’abord le décalage trop long entre la prise de conscience d’un certain nombre de réalités économiques et territoriales, qui évoluent très vite, et le temps long de l’action politique. Dans ce contexte, il réaffirme le rôle essentiel de la proximité, propre aux acteurs de terrain comme SOLIHA, pour apprécier ces réalités et adapter les réponses de façon plus rapide. Il invite à « penser les politiques publiques différemment de ce qu’elles sont aujourd’hui » en incitant les élus à identifier les bonnes pratiques déployées par les associations sur le terrain afin de construire les politiques puis les outils autour de cette notion de réponses aux réalités des problèmes de fond. « Il faut ramener aux gens et au bon sens ! »

Afin de renforcer l’utilité sociale, C. Robert, préconise de poser la question de « l’accès au logement direct comme acte fondateur d’une autre politique sociale du logement ». Pour lui, « le logement n’est pas une récompense de quelque chose à l’issue d’un parcours chaotique dit d’insertion mais bien un levier fondateur de la redynamisation, de la réinsertion des personnes ».

Si pour lui, la question de l’utilité sociale SOLIHA est « complètement acquise » et « convaincante », grâce à son expérience, il invite le Mouvement à aller plus loin, « à entrer plus dans le détail et pouvoir mesurer ».  Car, il va falloir montrer et rendre plus lisible ce qu’il fait, à quelles conditions, avec quels moyens et pour quels types de logements produits.

C. Robert rappelle enfin que « les acteurs associatifs ne sont pas des acteurs lambda » car la question des valeurs, du militantisme est essentielle. Il existe selon lui « un rapport de force collectif » à renforcer, sur lequel le monde associatif doit mener une réflexion. Il invite à mieux faire connaître ce que font les acteurs associatifs et la manière dont cela est fait pour leur permettre d’être plus forts. Il invite à « remettre les plus fragiles au cœur de l’action publique, car c’est le premier rôle de l’Etat et de la collectivité».

Etre reconnus comme des organismes tiers de confiance auprès des plus démunis

En conclusion, Xavier de Lannoy, Président de la Fédération SOLIHA se dit convaincu que « tout investissement public dans l’habitat au service des personnes défavorisées, vulnérables, fragiles est, à terme, créateur de richesses pour la collectivité toute entière ». C’est pour cette raison que cette utilité sociale, doit être « portée en termes de projet ».

Si la loi, la jurisprudence et les agréments confèrent des droits aux acteurs associatifs, tel SOLIHA, il réaffirme la volonté du Mouvement faire respecter ces droits, car « c’est justement cette reconnaissance effective de son utilité sociale qui est en jeu ».

Les débats de la rencontre confortent trois axes de travail du Mouvement SOLIHA :

  1. La lutte contre la précarité énergétique, domaine ou l’utilité sociale a toute sa raison d’être. Au-delà de l’utilité des actions engagées dans ce domaine au profit des personnes et de l’habitat, « nous contribuons aux enjeux planétaires sur le climat».
  2. Le renforcement de la gouvernance SOLIHA qui interroge sa capacité à rassembler, autour du projet du Mouvement, de nouvelles personnes désirant s’impliquer au sein de ses associations.
  3. L’enrichissement des alliances et partenariats, notamment avec les autres acteurs associatifs. Ensemble, « nous portons une parole collective des associations, filets de la solidarité dans notre pays». Il appelle à « continuer cette action collective pour demander des inflexions fortes dans le domaine de la politique du logement ».

Il conclut en reprenant deux mots souvent utilisés lors des débats : « Proximité » et « Réactivité ». Proche, SOLIHA l’est par son ancrage dans les territoires, au plus près des personnes. Réactif, « nous nous devons de l’être ! ».

En savoir plus

– Consulter les 4 propositions du Mouvement SOLIHA pour une politique de l’habitat privé solidaire.

Contact
– Fédération SOLIHA : Naziha NHARI – Coordinatrice communication – n.nhari@soliha.fr

 

Crédits photos : David Monfort

Cet article fait partie de SOLIHA News #2
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